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Un texte d’Olivier Douville sur le mariage pour tous

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À propos du projet de loi dit « mariage pour tous », autres considérations
Par Olivier Douville, le 18 janvier 2013.

 

Le projet de loi dit « mariage pour tous » a enflammé bien des esprits. Au point que chaque jour, ou presque, les gazettes s’enflaient et se gonflent encore des prises de positions de certains psychanalystes qui ne manquent pas d’affirmer que l’adoption d’un tel projet mènerait à des conséquences désastreuses, menaçant de saper les fondements de l’ordre symbolique.

Parallèlement l’opinion la moins éclairée, craignant qu’on empiète sur ses droits, lorsqu’il ne s’agit que d’étendre la protection du droit aux personnes dites « homosexuelles », prophétise à grand cris que l’adoption d’une telle loi ouvrirait la porte de notre beau et vertueux hexagone à des licences déferlantes, telles la polygamie ou l’inceste, etc. Cette dramatisation harassante nous fait presque perdre de vue une réalité pourtant aisément constatable. On s’aperçoit sans mal que là où un tel mariage existe – et il existe dans des pays au moins aussi porté au catholicisme que l’est la France – les dérives annoncées à grand fracas n’existe pas, que jamais cette union qui fait tant polémique ici n’aboutit à la généralisation de la polygamie, à l’accroissement des incestes ou à la fabrique massive de sujets à orientation homosexuelle.

L’opinion aveuglée n’en voulut pour autant rien savoir. La méconnaissance, nous le savons, n’est pas signe d’un défaut d’information, mais moteur d’une passion. On voit alors le Code civil servit d’argument décoratif au goupillon.

Il fallait alors, dans ce concert des esprits frileusement indignés, supposer que les couples qu’un tel mariage « pour tous » cimente ne pourraient fonctionner qu’en tant que milieu pathogène. Cherchons alors les études concernant les enfants issus de tels couples, ceux nés de P.M.A. et qui montreraient de tels faits. Las ! elles ne viennent pas conforter la masse de préjugés rétrogrades si aisément mis en avant par les adversaires d’un tel projet de loi et elles nous incitent plutôt à la sérénité. Les milieux parentaux « homosexués » ne sont pas plus ou pas moins pathogènes que les familles reposant sur un couple « hétérosexués ».

L’autorité de quelques  psychanalystes s’est, en un premier temps, trop montrée dans le sens d’une moralisation étriquée, et d’une lecture plate et mécanique de ce que Freud nous a laissé comme problème anthropologique et clinique soit le complexe d’Œdipe. La confusion fut grande et souvent le triangle œdipien fut ramené et réduit au profil étroit d’une photo de famille : papa – maman – l’enfant. Ceci nous éloigne de l’intelligence freudienne de ce complexe et des reprises qu’en fit Lacan lesquelles invitent à considérer ce que nous nommons si commodément « Œdipe » non comme une photo de famille mais comme un structure de tension entre l’enfant, la jouissance et l’interdit.

L’enjeu du débat actuel qui est de remplacer, pas à pas, un dispositif social référé à l’autorité paternelle à un nouveau mode de parentalité, respectant le droit de plus d’une configuration de parentalité pourrait nous inciter à une lecture plus souple et plus avertie des héritages freudiens. Il n’est plus à créditer l’ordre patriarcal d’être le seul à même de séparer (c’est-à-dire de nouer autrement) le corps pulsionnel de l’enfant de la mère.

Rappelons encore que l’anthropologie issue des thèses freudiennes et prolongée par les travaux plus contemporains ne peut aujourd’hui s’accorder avec une célébration nostalgique et incantatoire de la figure du père. À cet égard, les anthropologues ne se sont pas trompés, et nombre d’entre eux soutiennent le projet de loi, alors, que paradoxalement, c’est dans les tréfonds d’une anthropologie droite issue de textes religieux que puisent obstinément les condamnations proférées au nom de « la » psychanalyse contre ce projet de loi [1]. Poser que seul le père est agent du symbolique, que seul le père est tiers séparateur est une posture, un tic presque, qui s’en va reconduire, au nom de la psychanalyse, une idéologie religieuse qui sert d’onction au patriarcat. C’est bien ici le religieux qui revient à toute allure et qui se retrouve, de facto, mis au rang de garant du trésor symbolique, lors que ce dit trésor le religieux l’a plus exactement colonisé et monumentalisé. Or de ce monument, nombre de psychanalystes n’en veulent plus, et ils l’ont fait savoir et le font savoir encore. En témoigne une lettre ouverte que Laurence Croix et moi avons contribué à lancer sur la toile au mois de novembre et qui réunit, aujourd’hui, plus de 1 700 signatures [2]. Ce serait, bien sûr, une étrange méprise que de s’autoriser de ces signatures ou de s’en glorifier pour faire accroître que le psychanalyste gagnerait à se confondre avec le législateur.

Mais cette lettre ouverte l’a montré, le milieu est comme on le dit « divisé », et, ce profondément. Ce qui pourrait engager à des débats nécessaires sur ce que nous entendons par famille, « père » ou « parentalité ». Or, nous ne vivons pas des temps de disputatio.

On mesure maintenant le tour de passe passe rétrogade : il consiste à absolutiser le couple hétérosexué comme configuration princeps de l’alliance symbolique. N’est-ce pas dans un grand élan de naturalisation du symbolique refuser opiniâtrement une des leçons essentielles des corpus psychanalytiques, à savoir que rien ne lie inconsciemment les deux sexes par une complémentarité naturelle et une harmonie fatale.

N’est-ce pas, au fond, cet aspect  du sexuel qui revient au premier plan et qui dérange. Il est à espérer qu’aucun culte du père de famille ne sera assez puissant pour gommer la saisie d’un tel aspect. Il est des moments de notre évolution sociétale ou la société va plus vite que la psychanalyse. Autant en prendre acte.

Olivier Douville

 

[1] dont le Concile d’Elvira en 305 qui régimente ce qui fonde un couple tout en prohibant les mariages entre chrétiens et juifs, et posant les bases de l’excommunication des acteurs et des pantomimes.

[2] http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N30808, cf également http://olivierdouville.blogspot.fr/2012/11/parmi-les-premiers-signataires-des.html

 

Olivier Douville est maître de conférences des Universités, membre de l’Association française des anthropologues, directeur de publication de Psychologie clinique. Son blog est ici.

La photo qui illustre cet article a été choisie par Olivier Douville pour sa page Facebook ; elle est de Fred Dufour (Manifestantes à Paris le 16 décembre 2012) et on peut la retrouver .

 


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